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Mbappé, même pas peur


Rédigé le Lundi 18 Juin 2018 à 14:34 | Lu 97 commentaire(s)



A seulement 19 ans, le prodige parisien affiche une maturité et une assurance face aux médias qui détonnent dans le monde du foot et font de lui un leader en puissance. Un statut qu’il voudra assumer sur le terrain jeudi, face au Pérou.




  Mbappé, même pas peur
Un éclat de vérité est tombé à la 70e minute de la chiche victoire (2-1) des Bleus samedi à Kazan contre la sélection australienne, alors que les Tricolores avaient sorti des rames de la taille de celles des galères romaines pour se tirer d’affaire : Antoine Griezmann, leader présumé, est rappelé sur le banc par son sélectionneur, Didier Deschamps, qui décapite ainsi l’équipe, ou plutôt son reflet médiatique. Car Kylian Mbappé, 19 ans, reste, lui, sur le terrain : il n’a pas fait mieux que le joueur de l’Atlético Madrid avant ça, il n’a pas fait moins bien non plus, mais il ira au bout du match.

«Pas mort d’homme»
Difficile au juste de savoir quand cette histoire s’est tramée. Elle a frappé au cerveau des suiveurs des Bleus trois jours avant Kazan, le mercredi, descendant à la verticale depuis les cintres de l’amphithéâtre de l’hôtel New Jerusalem d’Istra, où les Bleus viennent parler aux journalistes. Mbappé s’était présenté devant les micros dans un contexte particulier, comme si la pièce qui se jouait – les 23 Bleus moins Paul Pogba à confesse pendant trois semaines, trois matchs de préparation là-dessus – depuis le début du rassemblement tricolore le 23 mai se dénouait enfin, à la manière du jeu de Cluedo : l’assassin est le colonel Moutarde, dans la bibliothèque, avec la clé anglaise.

Tout à son plaisir, Mbappé a rassemblé les indices devant nous. Antoine Griezmann ? Le taulier des Bleus a bel et bien connu «un passage à vide» (avec la sélection durant la saison 2016-2017, ce qu’aucun acteur ne s’est jamais permis de noter publiquement) mais voilà, «il a bien réagi, ça montre le joueur qu’il est». Le coup que Mbappé a pris à l’entraînement il y a une semaine, au lendemain de son arrivée en Russie, une véritable affaire d’Etat alors qu’un pschitt de bombe froide a réglé l’affaire ? «Et après ? C’est mon quotidien, j’y suis habitué depuis longtemps. Il n’y avait pas mort d’homme, c’est pour ça que j’ai voulu dégonfler ça [en dédouanant dans l’heure sur les réseaux sociaux Adil Rami, l’auteur du coup, ndlr]. Il faut prendre [ces emballements médiatiques] comme ils viennent. Sinon, tu changes de sport.» Sur le numéro 10, qu’il a endossé sans peur de l’historique du maillot – Michel Platini et Zinédine Zidane avant lui, rien moins : «C’est moi qui l’ai demandé. Bon, il n’y avait personne à l’horizon… (Rires). Je voulais le 10. Voyez ça comme un truc de gosse, par rapport à d’autres joueurs avant moi. Après, il y a des paramètres, il faut assumer les comparaisons, enfin non, pas les comparaisons, ce n’est pas le mot, mais…» Mais la généalogie oui, faut-il comprendre.

Tout était en place, soigneusement rangé : Griezmann comme une sorte d’alter ego, la prise en compte (et même en charge) du monde extérieur, la verticale temporelle. Et c’est là que le gamin a fait tomber la foudre. Il aura attendu une question délicate à négocier sur Paul Pogba, immense par le talent, excentrique par nature : le voit-il lui, Mbappé, comme un patron, un statut que Pogba revendique haut et foot ? On a alors vu un gamin de 19 ans sourire à pleines dents : «"Patron"…» Un silence. «Ouais, enfin… Paul…» Il lève les yeux au ciel, toujours en souriant. Manière de dire : «Vous le connaissez comme moi, Paul. Il est marrant. Mais enfin, vous lui confieriez vos clés de bagnole ? Et la main de votre fille : le mec fiable et qu’on aime en plus avoir devant soi à la fin du repas dominical, en tête-à-tête, quand on a la tête lourde et qu’on sort quand même l’alcool de poire pour refaire le monde ? Moi non plus.» Mbappé a ensuite mis les formes : «Sur le terrain, Paul est un créatif, avec un gros impact physique qui marque les adversaires et une grande qualité de passe. En dehors, il est naturel. Rien de forcé. C’est lui, c’est son personnage, il ne change rien. Un grand joueur, qui emmène beaucoup de gens sur sa route.» Beaucoup de gens mais possiblement pas lui : une maîtrise qui donne le vertige dans l’absolu et à plus forte raison vu son âge, subjuguant les plus anciens suiveurs du train bleu. Révérencieux envers le Pogba joueur, très amène et bienveillant envers l’homme, mais jamais il n’aura lâché le mot «patron», pas pour lui, pas sérieux.

Précocité
Il est difficile de mettre en mots l’immense séduction qu’exerce Mbappé sur un auditoire que le foot passionne. Il faut le voir s’animer : le sourire permanent, les yeux qui brillent, les mots choisis venus d’un champ lexical qui n’est pas celui du football («louanges… personnage… univers… interprète») mais que l’attaquant parisien intègre avec un naturel confondant, le sentiment qu’il est tout simplement né au football avant vous et qu’il vous tend la main pour vous l’expliquer.

On parle là d’une autorité naturelle, à la lisière du culot et de l’indélicatesse. A propos du coup de Rami qu’il est allé déminer sur les réseaux sociaux, l’attaquant a fait une réponse prodigieuse : «Quand vous créez quelque chose, ça crée chez l’adversaire une certaine frustration. Je comprends [le geste de Rami]. J’aurais fait pire.» Même genre de réponse sur le procès en arrogance, récurrent dans son cas : «L’équipe de France est très médiatisée, et du coup les joueurs le sont aussi. On ne peut pas changer ce que les gens pensent. Je peux comprendre que quand on voit les images, on les interprète d’une certaine façon. Mais ça ne m’empêche pas de dormir.» Mbappé comprend les joueurs qui ne créent rien et matraquent par frustration, il comprend aussi ceux qui voient ça de l’extérieur.

Il se met à la place de tout le monde, en fait : le foot en étoile. Mbappé a un jour expliqué qu’à 7 ans il jouait aux interviews avec ses voisins de vestiaire : il ne respire pas seulement le football mais ses à-côtés, ses reflets dans le vrai monde (si tant est que les médias soient le vrai monde). Tout se passe comme si, pour lui, les manifestations indirectes étaient déjà un morceau de football, une promesse de ballon et du plaisir qui va avec.

Dans le contexte tricolore, c’est du gnangnan : personne ne peut s’aligner à ce niveau de charisme et de caractère ; le capitaine, Hugo Lloris, est aux fraises et le vice-capitaine, Raphaël Varane, et ses quatre Ligues des champions ressemblent à un monument dédié à l’ennui. Pogba et Griezmann ? On en revient plus (Pogba) ou moins (Griezmann) aux clés de bagnole. Personne n’est de taille : l’équipe de France est pour lui une base arrière avant de prendre ses aises au Paris-SG, où son travail de sape – je donne le ballon à Neymar plutôt qu’à Cavani –finira bien par payer. Restent trois obstacles, réels ou supposés.

Le premier n’est pas le moindre : le terrain, les performances. A chaque fois qu’on a entendu le joueur sur le sujet, on confesse avoir été sidéré : c’est comme si cette difficulté n’existait pas ou plutôt comme si les matchs étaient des formalités – un coup de tampon – pavant une voie royale. De par sa précocité, Mbappé est un crack sans équivalent français ni étranger, objet de surenchères inouïes à 15 ans et explosant des équipes de Ligue des champions à seulement 17. Mais une Coupe du monde, c’est autre chose. Les artistes comme lui ont tôt fait d’avoir l’impression de jouer dans la vase : les Australiens l’ont désactivé samedi, l’accrochant sans cesse pour l’empêcher de prendre de la vitesse (son arme fatale, «avec ou sans ballon», selon Deschamps) et soulignant sa dépendance à un collectif tricolore en détresse. Le deuxième obstacle, c’est son acceptation dans le vestiaire tricolore. Pas grand-chose à signaler sur ce front-là sauf une sortie de Lucas Hernandez dimanche, garant de l’état d’esprit idoine (lui rentre dans le tas), auquel on a demandé qui avait vocation à relever les compteurs quand l’équipe souffrait : «Raph [Varane], Antoine [Griezmann] et Paul [Pogba]», celui-là même qui est décrit comme un excentrique par un Mbappé que Hernandez, tiens donc, ne cite pas.

Le troisième rideau, c’est bien entendu le sélectionneur, Didier Deschamps : doit-il accompagner la montée en puissance du joueur, la combattre ou bien encore la diriger ? Pour l’heure, le coach tricolore n’a pas eu un mot ou une allusion, du moins publiquement. S’il sort Ousmane Dembélé, perdu contre l’Australie, pour faire rentrer Olivier Giroud face au Pérou jeudi, ça prendra sens : Mbappé a claironné vouloir jouer avec le premier, pas avec le second. De l’extérieur, on pourrait croire que les Bleus sont entrés dans la compétition en douceur. En vérité, on est déjà en plein dedans.

L’interprétation vidéo, soutien des Bleus

Pour la petite histoire, le staff des Bleus avait ciblé deux faiblesses dans l’équipe d’Australie, que les Tricolores ont péniblement dominée (2-1) samedi à Kazan : le défenseur droit Joshua Risdon et son pendant à gauche, Aziz Behich. Le premier a coûté le penalty du 1-0, accordé après le recours à l’arbitrage vidéo, son alter ego est fautif sur le second but, pour être sorti trop tard sur Paul Pogba, qui a vu son tir dévié frapper sous la barre et rebondir derrière la ligne : on est souvent rattrapé par ses défauts. Témoignage intéressant de l’entraîneur néerlandais des Australiens, Bert van Marwijk : «J’étais à côté de l’arbitre quand il a consulté la vidéo [sur le penalty] et je peux vous assurer qu’il ne savait pas quelle décision prendre après avoir vu les images. Après, c’est la France contre l’Australie, voilà… Sur dix arbitres, sept l’auraient sifflé et trois ne l’auraient pas accordé. Vidéo ou pas, ça reste de l’interprétation.» Les Bleus enchaînent jeudi contre le Pérou, battu (0-1) d’entrée par le Danemark.



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